dédiée à Henri MICHAUX d'après "Apparitions-Disparitions" de Henri MICHAUX Extrait de "MOMENTS" (Editions GALLIMARD). Commande INA.GRM. Réalisation dans les studios du G R M : studio analogique 116, studio numérique 123. Création : PARIS. CYCLE ACOUSMATIQUE 1984, Lundi 26 Mars . Maison de Radio France Voix : Harin de CHARETTE remerciements à : Christian ZSNESI, pour les prises de sons vocales Bénéâict MAILLIARD et Yann GESLIN, gui furent mes conseillers au studio numérique Monsieur HUGUES, (Galerie Point Cardinal) Les deux parties de la pièce sont d'un seul tenant. Les minutages donnés ici ne constituent que des points de repère. Les extraits du texte auxquels ils se réfèrent ne sont en aucun cas des titres de mouvements. Face 1 Introduction 2'10 . Tirs 3'35 . Un homme debout dans un coin de la chambre 5 '48 . Sabotages 7'17 . La musique que j'écoute... 9'04 . Dommages - allongement - accroissement 10'55 . ... les femmes se changent en salamandres 14'21 . Est-ce là l'état d'innocence 17'00 . Dissolution 18'00 . Lire, le sens sommeil 19'06 . Interceptions (2ème) 20'16 . Espace 24'45 . Pensée... cicatrice 26'36 . Ah! tous ces virages Face 2 0 1'40 . Les causes, les conséquences 4'00 . Obnubi'iation 6'47 . Ramakrishna en personne est ici. 9'00 . La pensée, c'est une image éconduite 12'00 . Voix en promenade 14'00 . Enjambements 17'28 . Baratte 19-30 . Dilataste cor meum 21'00 . Un pouls nouveau 23'30 . Etendue 26'00 . Persuasion 27'11 . Ce que j'aperçois La pièce a été modifiée et raccourcie pour la présente édition Face 1 : 28'10 - Face 2 : 28'50 - (stéréo 2 pistes) - (Durée Initiale : 70' - H pistes) racoiandation d'écoute : ce disque est à écouter 6 fort niveau pour référence le début de la face 1 doit être fortissimo Quelques idées et partis-pris. La voix . la lecture Surtout pas de théâtre ! Il y a chez Michaux un mélange de religieux et d'intime, de grandeur et de sobriété qui n'incite pas aux gestes nécessairement plus extérieurs du théâtre. Il me fallait de la retenue et de l'intériorité; un peu comme un rituel; un ton de cérémonie, une voix royale. Ainsi le drame s'exprime par la musique et les traitements de la voix. Le rapport mots / chair musicale (d'un point de vue formel) Autre chose qu'un mixage ! Le parti a été d'intégrer la voix parlée à la musique comme s'il s'agissait d'un chant; installer des rapports dynamiques ent're les sons et la prosodie, Que chaque mot soit porté à l'oreille par le mouvement, prenne sa place dans le phrasé musical. donc : . Lecture suspendue . Montage, espacement artificiel de la lecture . Ecriture musicale souvent à unités brèves pouvant jouer en détail avec celles de la parole. Le sens et les sons, le texte et les idées musicales Le texte s'articule en discontinuité par une succession de mini-paragraphes dans lesquels le sujet 'n'a pas toujours la même place ni le même rôle. Narrateur, il témoigne de ce qui lui arrive, mais il s'observe. Enoncés de phénomènes sensitifs,. introspection, écriture et regards sur l'acte d'écrire comme participant de l'aventure. A ces différents niveaux de conscience du sujet par rapport à lui-même, j'ai cherché à répondre en articulant des propositions d'écoute variées. Ainsi les idées musicales se distinguent comme appartenant presque à des genres différents de musique électroacoustique. D'un côté, des moments plus "plastiques" où l'on mise sur une écoute plus immergée, voire physiologique (effondrement, gouffre, vertige, champ...); d'autres plus distancés où l'écriture musicale se donne aussi à penser abstraitement. Un jeu de proximité entre l'auditeur et l'objet musical à l'image de celui qui s'établit entre le sujet et le récit, le lecteur et l'écrit. Il y a aussi dans l'image éconduite une volonté de lier le sens au musical de façon permanente. Les relations symboliques s'établissent à plusieurs niveaux; parfois en détail, termes à termes (à un mot répond un événement musical), parfois plus souplement entre des idées musicales, des principes d'écriture et du sens. A chacun de lire ces relations d'ordre symbolique. L'auditeur ne les remarquera sans doute pas toutes, en découvrira d'autres... L ' image C'est, à part la voix, le seul élément directement réaliste de la pièce, un son à représentation extra-musicale explicite. Fréquente mais toujours furtive, on comprend dès qu'on l'entend, qu'il y a quelque chose à reconnaître, à "voir"; mais ce qui est donné à imaginer reste ambigu. C'est une présence, inquiétante, rassurante ... Il y a quelqu'un ici... et tout proche. S'agit-il du narrateur lui-même comme la fin peut le faire penser ? De cet homme "... brusquement là..." ou encore de quelqu'un d'autre ? En tout cas cela parle d'un espace clos, une chambre, (la fameuse chambre?) et d'intimité. A ceux qui le désirent d'en découvrir les secrets. Voilée, l'idée poétique de la pièce : "... la pensée, c'est une image éconduite." Ph. M. Stress, luxe et volupté par Jean-Christophe THOMAS Ce qui frappe dans L'image, c'est le luxe; un luxe pléthorique, foisonnant, baroque. Une générosité: d'idées, de réalisations artisanales. Un travail de romain d'assistance a autrui, l'auditeur, lequel reste pantois, comblé. Au plan émotionnel, comme au plan du confort d'écoute (l'espace, la lisibilité!), Mion déploie sans compter un activisme du détail, ainsi qu'un souci "d'en donner" en abondance; assurant le voyage en merveilles, angoisses et voluptés... fournissant le fantasme et puisant nerveusement oninsme et sensualité. Du grand angle au micro-détail donc, c'est la jouissance artisanale de l'instant; mais c'est aussi le flot d'un fleuve (géant ébranlement initial), l'intimisme morbide et la grande aventure; mais l'humour aussi sous l'emphase, et le stress et l'introspection. Pourtant ce juvénile emportement a de la sécheresse classique. Un formalisme dédaigneux semble s'y conjuguer (le début, notamment) avec l'entièreté paradoxale d'intransigeants délires : dont on s'étonne qu'ils composent avec l'art. A la manière d'Henri Michaux lui-même, on est souvent dans la musique entre l'hyper-lyrisme et la litote, entre l'excès et l'abstinence. On pense aussi à Pierre Henry pour la façon dont les idées, ou grosses ou raffinées, s'y montrent avec un détachement formel acerbe, cuites au feu vif, précoce, d'un vigilant sur-moi. ( A ce propos je n'oublie pas de déceler quelques allusions "culturelles" : que l'auditeur devra compter - _avis aux connaisseurs - comme un plaisir supplémentaire. J'aime ici pour ma part qu'entre l'inquiétude et l'audace, on mène avec de grands Anciens - et auteurs des classiques du genre - un incontournable dialogue). Ainsi jardin à la française - mais nocturne. L'étrange y luit à la clarté lunaire. Des faunesses en terre cuite frissonnent sous la caresse, et 1-ouverture-éclair (sur-impression ,de quotidienneté, une image souvent reconduite : 24-45, face 2) dévale en un instant des kilomètres-ailés de vertige à l'envers; l'oeuvre entière retournée comme un gant, remontée comme une vie, dans le puits noir, peut-être, de la Mort. (9', face 2). Quelques idées singulières ou bouffonnes : pour l'adéquate illustration du rèche Henri Michaux. Surtout : "la vie nouvelle du tactile"; tactile auriculaire. Convoquée quelquefois dans les aberrations électroniques, informatiques... mises au service des sortilèges les plus sérieux. Et à propos d'aberration : notons que c'est autour de la voix narratrice, surtout, que s'opère le travail d'efflorescences baroques. "Caresse", redit un choeur...artificiel, rejeton délirant de la voix naturelle... faisant un fugace bondissement hors de la ligne. Cette inquiétude morphologique, qui corse la saveur du style de Mion, brise et ocelle un récit qui résiste, ne se dissout pas en éclats, sous la pression et la grêle des écarts, des sollicitations - qui incrustent et tiraillent la "plate", nécessairement, rectitude narrative. La voix, pourtant,le parti est de l'éclater. De tenter avec elle l'osmose au musical. Et d'avancer sur la lisière qui sépare - mais si peu - l'esthétique pure du sémantique. Son orchestration mul- tiface semble longtemps (première partie) la substance principale des sons. Qui font comme auréole au noyau poétique. Et la musique (comme il est idéal au genre oratorio) transsude en somme du texte, perpétuellement vaporisé, en est l'émanation. "Dissolution des distillions" : sémantique et musique cessent donc de s'opposer. Le sens fait son sans cesse, de façon quelquefois démonstrative ("Dissolution"."Omnubilation"). Tout comme la fantas- magorie émane du moi-poète, dans le poème (moi dilaté par le délire)... le fantastique sonore et musical sort de la voix-germe, et du texte. ("Mangé par l'orange") II sort si bien qu'un clivage assez net (à partir de "Salamandre") lui fait bientôt prendre le pas - l'instance musique s'émancipant - sur le "soliste" narrateur. Soliste si peu seul déjà, mais tou- jours dédoublé, multiple, anamorphose en musiques.^. Lesquelles donc viennent, pour la deuxième partie, plus symphonique, occuper le devant de la scène. Et la titanique traversée se mue, sur la fin, en naufrage à l'envers : on décolle lentement, irré- sistible ascensionalité du vaisseau musical : "Je gagne le haut, je touche l'entrée". Le -luxe , alors, n'est plus ingrédient rhétorique, il est élargissement d'être. La fin cryptique, plumeuse, aux cloches de neige fossilisée, sons blancs solarisés de miroir traversé, plus "au-delà de l'infini" que 2001 - est un des plus magiques impondérables de la musique de son que je connaisse. Mion rend visite à Michaux. L'Image, alors : surimpression de quotidienneté, ou familiarité du sublime ? Il se passe un petit miracle : émoi tranquille de la rencontre au bord d'un départ pour toujours, un rendez-vous presque manqué.